Entre 1976 et 1983 la dictature argentine a suivi un plan d’assassinats systématiques d’opposants et d’adoption de nouveau-nés. Enlevés à leur mère à la naissance, ils furent adoptés par les bourreaux. Aujourd’hui, en Argentine, des grands-mères tentent de les retrouver pour leur rendre leur identité.
On a tous plus ou moins entendu parler des « Folles de la Place de Mai ». Ces femmes qui en Argentine se battent pour retrouver la trace de leurs enfants disparus lors de la dictature.
On estime à 30000 le nombre de personnes disparues, entre 1976 et 1983, militants ou opposants au régime, pour certains. Le combat des grands-mères de la place de mai est par contre moins connu chez nous. Dès le début de la dictature, des jeunes gens ont disparu. Certains avaient déjà des enfants, et ces derniers ont été enlevés avec eux. Il y avait aussi des femmes enceintes, qui ont accouché dans les mois qui ont suivi leur disparition. On sait plus ou moins que ces bébés (on parle de 400) n’ont pas été tués, contrairement à leurs parents. Ils auraient été adoptés par des militaires ou des fonctionnaires proches de la junte.
Les mères et les grands-mères ont créé dès le départ de leur combat, aux premières heures de la dictature, une association aujourd’hui scindée en deux. Car si leur lutte est proche, elles n’ont plus les mêmes objectifs. Les premières cherchent la dépouille de leurs enfants, et à préserver leur mémoire, les secondes cherchent à retrouver leurs petits enfants.
"Je ne voudrais pas mourir avant d’avoir serré dans mes bras cet enfant que la dictature a privé de ses parents. Nos enfants."
Cette phrase, chacune des Abuelas (grands-mères) en fait son credo.
Estela Carlotto, présidente des « Abuelas de Plaza de Mayo » (les Grands-Mères de la Place de Mai) est l’une des pionnières de l’association. Aujourd'hui elle porte dans le monde entier le combat pour la vie que mènent les Abuelas.
Durant plus de trente années, Estella a recherché
et attendu son petit-fils. Sa fille, Laura, alors enceinte de deux
mois (ce que sa mère ignore à l’époque), a été enlevée en
novembre 1977, comme des milliers d’autres Argentins. Ses parents,
ne la verront plus vivante. Ils apprennent, par hasard, de la bouche
d’une femme échappée du centre de répression de la Cacha à
Buenos Aires, qu’elle a accouché, en juin 1978, à l’hôpital
militaire. Laura a donné au bébé le prénom de son grand-père :
Guido. Cinq heures après l'accouchement la mère, que l’on vient
d’endormir, et l’enfant sont séparés à jamais. Un jour, les
autorités rendent le corps de Laura. A la morgue, Estela prendra une
main de sa fille dans les siennes, ne pouvant découvrir son visage.
Récemment, Guido devenu adulte a enfin retrouvé sa grand-mère...
et, avec elle, le passé de sa vraie famille.
Au siège des Abuelas,à Buenos Aires, des portraits de jeunes gens : les parents des quelque 400 jeunes répertoriés.Toutes les Abuelas (elles ne sont plus aujourd'hui qu'une dizaine) caressent le même rêve de connaître les fils et les filles de leurs enfants. Depuis trente ans, elles cherchent, inlassablement, publient des livres, placardent des affiches avec les portraits des disparus. Les recherches restent empiriques.La Junte a détruit des archives avant de céder le pouvoir, et l’armée répugne à collaborer.
Elles sont très âgées aujourd’hui, et craignent de mourir, avant que leurs petits enfants n’aient pu être retrouvés
La récente reconnaissance du délit de séquestration d’enfants a amené en prison les auteurs moraux des disparitions d’opposants durant la dictature. Autre résultat de leur combat étonnamment pugnace : avoir fait travailler des scientifiques pour qu’un lien génétique puisse être établi entre grands parents et petits enfants. Elles sont très âgées aujourd’hui, et craignent de mourir avant que leurs petits enfants n’aient pu être retrouvés. Elles ont donc constitué une banque d’ADN… Elles ont réussi à imposer une loi qui s'applique si une personne est soupçonnée d’avoir enlevé ou recueilli un enfant de disparu. En cas de soupçon, la justice peut l’obliger à apporter la preuve génétique qu’il s’agit bien de son enfant. Les grands-mères de la place de mai ont utilisé également les petites annonces des journaux, fait réaliser des spots à la télévision pour encourager des jeunes ayant des soupçons sur leurs origines à se manifester.
Aujourd’hui adultes, ces petits-enfants « disparus » sont estimés entre 400 et 500. A ce jour,116 ont été retrouvés. Si la lutte de ces grands-mères est encore peu connue en France, elle bénéficie heureusement d’une reconnaissance internationale. Un signe qui ne trompe pas : Estela Carlotto a été pressentie pour recevoir le prix Nobel de la paix.